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ثقافة « Mémoires d'un dinosaure » à El Teatro: Triple mémoire du théâtre, du politique et de l’altérité

نشر في  13 أكتوبر 2022  (13:44)

« Mémoires d'un dinosaure » qui joue actuellement à l’espace El Teatro au centre ville de Tunis nous convie à une immersion dans une triple mémoire.

Celle du dramaturge allemand Bertold Brecht d’abord et de son « Dialogues d'exilés » œuvre conçue pendant son exil en Finlande alors qu’il avait fui le nazisme et publiée à titre posthume à Berlin en 1961. Le texte met en scène la rencontre de deux exilés au buffet d'une gare : Kalle, un ouvrier et Ziffel, un physicien. Leur échange est alors propice à un débat autour d’un certain nombre de valeurs humaines telles que la liberté, l’égalité, la justice, et autres thèmes tels que l’oppression, les classes sociales, le progrès, le patriotisme, les dogmatismes. Thèmes qui relèvent du siècle des Lumières et qui font écho à l’influence de Diderot sur Brecht.

La deuxième mémoire évoquée est celle d’une époque politique particulière. En effet, « Dialogues d'exilés » fut repris et présenté par Raouf Ben Amor et Taoufik Jebali sous le titre de « Mémoire d’un dinosaure » pour la première fois le 5 octobre 1987 à l’occasion de l’inauguration de l’espace théâtral El Teatro. La reprise de ce texte brechtien aux élans humanistes à la fin de l’année 1987 est en lien avec la crise dans laquelle se débattait le pays à l'époque quand tout semblait, dans cette Tunisie de fin de règne de Bourguiba, perdre son sens, que le navire en fin de parcours chavirait plus que tout autre chose. La pièce a, depuis cette date, marqué l’histoire du théâtre tunisien et fut représentée dans plusieurs théâtres à travers le monde, en Egypte, en Allemagne, en Italie, au Liban et autres..

Remettre en scène une telle pièce théâtrale aujourd’hui est un acte révélateur d’un profond attachement aux textes universels qui traitent de thématiques essentielles à toute réflexion humaine sur le sens de l’existence. Relever le défi de la présenter par ces temps du rire facile et où tout est servi en spectacle, en apparence, en rythme effréné est une entreprise délicate.

En endossant les rôles de Ziffel et de Kalle, Ghassen Hafsia et Zied Ayadi ont tenté de questionner l’altérité dans le sens de l’établissement d’un discours possible autour de thèmes communs entre deux personnes d’appartenances et de visions différentes, Kalle étant prolétaire et Ziffel bourgeois. Les deux acteurs ont aussi essayé de renouer un certain maillage de la scène, de ses paroles et de ses gens, comme l’avaient fait avant eux Raouf Ben Amor et Taoufik Jebali, tout en restant fidèles à sa mise en scène initiale.

L’avant-première qui eut lieu le 5 octobre dernier soit 35 ans jour pour jour après sa première représentation confirma encore une fois l’universalité de ses thèmes mais c’est peut-être la réalité dans laquelle nous vivons qui nous rend plus sensibles à telle ou telle thématique comme ça peut être le cas aujourd'hui pour la valeur de l’être dans la société, sur le contrôle exercé par le pouvoir sur la vie des citoyens, sur la liberté, sur les différences de classes, etc.

Notons que la pièce a été aussi représentée en hommage à l’âme de celui qui l’avait mise en scène en 1987, feu Rached Manai (1945-1995), au scénographe Mohsen Rais et au directeur photo Youssef ben Youssef (1944-2018). « Mémoires d’un dinosaure » est aussi à mon sens un hommage à Zeyneb Farhat qui nous a quitté en 2021 et qui symbolisait la mémoire politique, culturelle et sociale de toute une époque dont elle fut témoin et acte-rice.

La pièce repasse les 13-14-15 Octobre 2022 à 19h30 à El Teatro.

Credit photo: Abdelkader Garchi

Chiraz Ben M'rad